« Les hommes se croient toujours les premiers alors qu’ils sont les derniers », nous dit Alain Schnapp, plaidant pour « ce qu’on pourrait appeler, au sens ancien du terme en français, un commerce avec le passé ». « Sans passé, poursuit-il, il n’y a pas de relations correctes entre les personnes et entre les siècles. Et c’est pourquoi le problème de la fouille préventive, le problème de la protection du patrimoine, c’est de faire partager le respect pour ce qui est enfoui dans le sol. »
Dans ce deuxième épisode de notre série d’émissions en défense d’une archéologie en butte aux attaques des courts-termismes politiques et économiques (lire cette contribution dans le Club), Alain Schnapp en défend la « dimension éthique ». « La dimension éthique de l’archéologie préventive, explique-t-il, c’est que ce qui nous a été laissé est digne d’intérêt. Et que cet intérêt, on doit le mesurer au passage du temps. »
Historien de la Grèce antique, longtemps professeur d’archéologie grecque à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, cet élève et disciple du grand Pierre Vidal-Naquet aime citer ce passage de saint Augustin (354-430), l’évêque d’Hippone (aujourd’hui Annaba, en Algérie), dans La Cité de Dieu : « Quiconque n’envisage pas le commencement de son activité ne sait pas en prévoir la fin. Ainsi, à la mémoire qui se retourne vers le passé se lie nécessairement l’attention qui se porte vers l’avenir. Qui oublie ce qu’il commence saura-t-il comment il peut finir ? »
Depuis ses études des années 1960 à la Sorbonne parisienne, marquées par son fort engagement en Mai 68 – il publia, en 1969, avec Vidal-Naquet un Journal de la Commune étudiante qui reste une somme incontournable –, Alain Schnapp n’a cessé de se battre, en duo avec le préhistorien Jean-Paul Demoule, invité de notre première émission, pour qu’en France, l’archéologie soit enfin reconnue, promue et protégée. Point de départ de notre série, leur ouvrage commun, Qui a peur de l’archéologie ? rend compte de ce long combat, encore fragile et inachevé, qui a conduit Alain Schnapp, au début des années 2000, à prendre la direction de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) en même temps que son complice prenait celle de l’Institut national des recherches archéologiques préventives (Inrap), tout nouvellement créé.
Mais cette conversation est aussi l’occasion de visiter une œuvre aussi savante qu’originale. Pédagogue méticuleux, Alain Schnapp est notamment l’auteur d’un ouvrage formidable et monumental, paru en 2020 dans la collection du regretté Maurice Olender au Seuil : Une histoire universelle des ruines. Dans une approche à la fois érudite et sensible, il y arpente la magie des ruines, ce spectacle qui nous rappelle qu’« il en va de l’homme comme de la nature » : « Les ruines sont un instrument de compréhension du passé autant que du futur. Elles sont le moyen d’une méditation unique sur la condition humaine et le sens de l’histoire. »
À le lire et à l’écouter, on comprend dès lors pourquoi l’archéologie est politiquement subversive, en ce sens qu’elle dérange un monde moderne d’immédiateté et de rentabilité qui se croit éternel parce que puissant. Et Alain Schnapp de démentir cette prétention en citant un poète, le surréaliste Benjamin Péret : « Peut-être retrouvera-t-on un jour, alors que son souvenir sera effacé de la mémoire des hommes, le gigantesque fossile d’un animal unique, la tour Eiffel… »
La prochaine émission de la série « Pour l’archéologie », avec l’historien et archéologue Dominique Garcia, actuel président de l’Inrap, sera diffusée à partir du vendredi 22 août, à 19 heures.
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